Nous dînâmes dans la cuisine de la grangère, les deux amies assises sur
des bancs aux deux côtés de la longue table, et leur hôte entre elles
deux sur une escabelle à trois pieds. Quel dîner ! quel souvenir plein
de charmes ! Comment, pouvant à si peu de frais goûter des plaisirs si
purs et si vrais, vouloir en rechercher d'autres ? Jamais souper des
petites maisons de Paris n'approcha de ce repas, je ne dis pas seulement
pour la gaieté, pour la douce joie, mais je dis pour la sensualité.
Après le dîner nous fîmes une économie : au lieu de prendre le café qui nous restait du déjeuner, nous le gardâmes pour le goûter avec de la crème et des gâteaux qu'elles avaient apportés ; et pour tenir notre appétit en haleine, nous allâmes dans le verger achever notre dessert avec des cerises. Je montai sur l'arbre, et je leur en jetais des bouquets dont elles me rendaient les noyaux à travers les branches. Une fois mademoiselle Galley, avançant son tablier et reculant la tête, se présentait si bien et je visai si juste, que je lui fis tomber un bouquet dans le sein ; et de rire. Je me disais en moi-même : Que mes lèvres ne sont- elles des cerises ! comme je les leur jetterais ainsi de bon cœur ! La journée se passa de cette sorte à folâtrer avec la plus grande liberté, et toujours avec la plus grande décence. Pas un seul mot équivoque, pas une seule plaisanterie hasardée : et cette décence nous ne nous l'imposions point du tout, elle venait toute seule, nous prenions le ton que nous donnaient nos cœurs. Enfin ma modestie (d'autres diront ma sottise) fut telle, que la plus grande privauté qui m'échappa fut de baiser une seule fois la main de mademoiselle Galley. Il est vrai que la circonstance donnait du prix à cette légère faveur. Nous étions seuls, je respirais avec embarras, elle avait les yeux baissés : ma bouche, au lieu de trouver des paroles, s'avisa de se coller sur sa main, qu'elle retira doucement après qu'elle fut baisée, en me regardant d'un air qui n'était point irrité. Je ne sais ce que j'aurais pu lui dire : son amie entra, et me parut laide en ce moment.
Enfin elles se souvinrent qu'il ne fallait pas attendre la nuit pour rentrer en ville. Il ne nous restait que le temps qu'il fallait pour y arriver de jour, et nous nous hâtâmes de partir en nous distribuant comme nous étions venus. Si j'avais osé, j'aurais transposé cet ordre ; car le regard de mademoiselle Galley m'avait vivement ému le cœur ; mais je n'osai rien dire, et ce n'était pas à elle de le proposer. En marchant nous disions que la journée avait tort de finir ; mais, loin de nous plaindre qu'elle eût été courte, nous trouvâmes que nous avions eu le secret de la faire longue par tous les amusements dont nous avions su la remplir.
Les Confessions - Jean-Jacques Rousseau - L'idylle aux cerises (extrait du livre quatrième)
Terrible...de les voir comme ça, rouges et juteuses...
RépondreSupprimeret de ne pouvoir tendre la main pour en savourer une !
Supplice de Tantale !
Voisins et cerisier généreux :-)
SupprimerQuelles merveilles... on en goûterait bien quelques-unes ! merci Fifi....
RépondreSupprimerbisou.
Et tu parles de "petites joies ordinaires"??
RépondreSupprimerJe me glisse dans le commentaire de la Licorne.
Oooh ! Comme elles sont belles et appétissantes ces cerises !!! (sourire)
RépondreSupprimerAïe, je viens de me taper la main contre mon écran. J'ai essayé d'en prendre quelques-unes mais j'ai oublié que je n'étais qu'assise devant mon écran d'ordinateur. :-( :-) Bises alpines.
RépondreSupprimerWaouh ! Belles et tentantes cerises, aucune chez nous trop d'oiseaux gourmands, corneiles et étourneaux surtout, ils les ont même attaquées vertes !
RépondreSupprimerMerci pour ce joli moment Fifi
Ces magnifiques cerises dans le plat me mettent l'eau à la bouche, elles sont belles et doivent être bien juteuses. Merci Fifi pour cette photo gourmande et les cerisiers n'attendent que la récolte.
RépondreSupprimerBisous
Coucou Fifi ! Ta photo me fait très mal aux yeux et je vais t'expliquer pourquoi (attention âmes sensibles s'abstenir) : quand j'ai eu droit à des injections dans l'oeil au début du confinement non seulement j'ai morflé mais je ne voyais plus rien. Quand j'ai pu voir un peu j'ai vu que mes yeux étaient comme des griottes !
RépondreSupprimerVéridique !
Ces cerises cueillies sans queues (à consommer donc tout de suite) ressemblent surtout à des petites pommes d'amour, il y aurait là de quoi monter son taux de glycémie ! Les cerises sont le péché mignon de mon mari. Notre fille en a eu beaucoup cette année mais elle ne sont pas vegan et lorsque nous irons la voir il n'y en aura plus. Il y aura les abricots de la Drôme et aussi des cerises au marché de notre fille. Mais les cerises moi je ne les aime que grimpée dans l'arbre c'est pourquoi je n'en mange pas souvent. Les dernières ventrées que j'ai faites c'était il y a bien longtemps dans le Var dans la cerisaie de mon beau-frère. Le problème est que le temps des cerises dure moins que celui des roses. Nous avions trois cerisiers dans la jardin familial à Épinal. Des burlat, des napoléon et des Montmorency. Et à partir du moment où je suis allée faire mes études à Nancy je n'ai plus jamais été présente lorsque elles étaient mûres. Je n'ai plus vi=u non plus les pivoines en fleurs...
SupprimerNos cerisiers n’étaient pas étêtés, ils montaient donc très haut. Il faut faire attention lorsque l'on monte dedans car le bois est très cassant aux jointures, il faut ne pas se mettre en porte çà faux. C'est un bel arbre mais très sensible aussi à la maladie. J'aime beaucoup ta photo d'ensemble, un beau but de promenade et des souvenirs à glaner à pleins paniers
SupprimerBises Fifi !
Désolée Lucie, si ma photo te rappelle des souvenirs désagréables. L'oeil est un endroit sensible au physique comme moral.
SupprimerLes cerises sont de vrais gourmandises à manger telles quelles. Mais une grande quantité m'a obligé à les transformer en un énorme clafoutis et quelques confitures. C'était un réel bonheur de les cueillir, des branches qui retombaient, donc pas besoin d'exercices périlleux pour les cueillir.
Supprimer"Grimpée dans l'arbre"vaut mieux éviter, surtout pour les grands-mères. Le bois du cerisier est cassant comme tu le signales.
Le cerisier en photo n'est pas celui des voisins mais rencontré lors d'une promenade.
SupprimerCela me fait drôle quand tu parles de tes souvenirs lorrains et alsaciens. Nos lieux d'enfance et de jeunesse sont proches :-)
(Pour changer j'ajoute que la chanson du temps des cerises est l'hymne de la Commune et qu'elle est beaucoup interprétée à la fête de l'Huma)
RépondreSupprimerRe bises !
Elles sont lustrées, apprêtées pour ta photo ?!
RépondreSupprimerRincés à l'eau claire :-)
SupprimerCe sont des Burlat, non ?
RépondreSupprimerNotre cerisier a été très productif, le tout est de gagner de vitesse les oiseaux, pour en faire profiter tout le monde.
Notre voisine après avoir "cuisiné" et fait le plein de grandes quantités de cerises, a appelé ses voisines en renfort. Se les faire piquer par les oiseaux lui insupportait :-)
SupprimerBurlat ou pas, je ne peux pas te répondre. A l'occasion je me renseignerais.
SupprimerNous dînâmes dans la cuisine de la grangère, les deux amies assises sur des bancs aux deux côtés de la longue table, et leur hôte entre elles deux sur une escabelle à trois pieds. Quel dîner ! quel souvenir plein de charmes ! Comment, pouvant à si peu de frais goûter des plaisirs si purs et si vrais, vouloir en rechercher d'autres ? Jamais souper des petites maisons de Paris n'approcha de ce repas, je ne dis pas seulement pour la gaieté, pour la douce joie, mais je dis pour la sensualité.
RépondreSupprimerAprès le dîner nous fîmes une économie : au lieu de prendre le café qui nous restait du déjeuner, nous le gardâmes pour le goûter avec de la crème et des gâteaux qu'elles avaient apportés ; et pour tenir notre appétit en haleine, nous allâmes dans le verger achever notre dessert avec des cerises. Je montai sur l'arbre, et je leur en jetais des bouquets dont elles me rendaient les noyaux à travers les branches. Une fois mademoiselle Galley, avançant son tablier et reculant la tête, se présentait si bien et je visai si juste, que je lui fis tomber un bouquet dans le sein ; et de rire. Je me disais en moi-même : Que mes lèvres ne sont- elles des cerises ! comme je les leur jetterais ainsi de bon cœur ! La journée se passa de cette sorte à folâtrer avec la plus grande liberté, et toujours avec la plus grande décence. Pas un seul mot équivoque, pas une seule plaisanterie hasardée : et cette décence nous ne nous l'imposions point du tout, elle venait toute seule, nous prenions le ton que nous donnaient nos cœurs. Enfin ma modestie (d'autres diront ma sottise) fut telle, que la plus grande privauté qui m'échappa fut de baiser une seule fois la main de mademoiselle Galley. Il est vrai que la circonstance donnait du prix à cette légère faveur. Nous étions seuls, je respirais avec embarras, elle avait les yeux baissés : ma bouche, au lieu de trouver des paroles, s'avisa de se coller sur sa main, qu'elle retira doucement après qu'elle fut baisée, en me regardant d'un air qui n'était point irrité. Je ne sais ce que j'aurais pu lui dire : son amie entra, et me parut laide en ce moment.
Enfin elles se souvinrent qu'il ne fallait pas attendre la nuit pour rentrer en ville. Il ne nous restait que le temps qu'il fallait pour y arriver de jour, et nous nous hâtâmes de partir en nous distribuant comme nous étions venus. Si j'avais osé, j'aurais transposé cet ordre ; car le regard de mademoiselle Galley m'avait vivement ému le cœur ; mais je n'osai rien dire, et ce n'était pas à elle de le proposer. En marchant nous disions que la journée avait tort de finir ; mais, loin de nous plaindre qu'elle eût été courte, nous trouvâmes que nous avions eu le secret de la faire longue par tous les amusements dont nous avions su la remplir.
Les Confessions - Jean-Jacques Rousseau - L'idylle aux cerises (extrait du livre quatrième)
Merci pour jolie trouvaille, Miss ! Cette cueillette de cerises, joyeuse et sensuelle ,me permet de lire Rousseau. Et me donne envie de poursuivre la lecture de ses "Confessions". J'ai abordé,il y a fort longtemps,"Du Contrat Social".
Supprimer"Les confessions" et "Les rêveries du promeneur solitaire" m'attendent sur les rayons de la bibliothèque familiale. Alors merci pour cette chouette suggestion.
Chanson d'amour et chanson engagée , comme le rappelle Cergie.
RépondreSupprimerQu'elles sont belles.
RépondreSupprimerEt quelle tentation :-)
Le temps des cerises ne dure pas longtemps... profitons-en :-)
Quelles magnifiques et appétissantes cerises !
RépondreSupprimerMerci à toutes les deux pour le texte de JJ Rouseau !
De la culture dans la culture !
Bon Dimanche et bises !
Merci pour le texte de Rousseau et pour cette photo des cerises... Quelle belle période que celle qui nous permet cette gourmandise.
RépondreSupprimerBonne journée.
J'aime beaucoup le texte trouvé par Miss et sa conclusion dont nous pouvons toujours nous inspirer : "... loin de nous plaindre qu'elle eût été courte, nous trouvâmes que nous avions eu le secret de la faire longue par tous les amusements dont nous avions su la remplir"
RépondreSupprimerAvant-hier nous avons glané des prunes rouges et jaunes au long du chemin qui prolonge la rue où Miss Zouzou va habiter lorsque sa maison sera bâtie. J'ai pensé à toi.
Merci et pour les photos appétissantes et pour l'extrait. Je me souviens des cueillettes de cerises dans le verger de mon grand-père, surtout des cerises noires, mes préférées, que nous accrochions à nos oreilles pour amuser ma grand-mère et sentir leur fraîcheur sur la joue. Tu réveilles de beaux souvenirs.
RépondreSupprimerElles ont l'air vraiment succulentes, ces cerises à l'admirable vermillon !
RépondreSupprimerLa charmante idylle de Rousseau, dénichée par Miss Yves, accompagne à ravir la photo de ces cerises équeutées.
Avant de lire ton commentaire, Fifi, j'avais deviné qu'elles allaient finir en clafoutis ;-)
Il y a bien longtemps que je n'ai plus mangé de cerises. Trop manipulées, celles des super-marchés ne me tentent pas, d'autant plus que leur prix est souvent prohibitif.
Quand nous habitions encore dans le Gard, les cerises figuraient régulièrement sur la table d'anniversaire de notre fille native de la fin Mai.
Tes photos, chère Fifi, m'ont donné envie d'ouvrir enfin le bocal de griottes rangé en réserve dans ma cuisine :-)
Bises, agrémentées d'imaginaires pendants d'oreilles, et bonne fin de journée
De la chance, Tilia, une autre voisine m'a appelée à la rescousse pour un autre cerisier plein à craquer de belles cerises craquantes. Une année à cerises me dit-on. J'en ai mis au congélateur et re clafoutis :-)
RépondreSupprimerMon maraîcher du marché a mis en place un système de commande où tu récupères ton panier. Je retrouve le plaisir des légumes frais. Que de complications cette histoire de virus. Mais rien d'autres à faire que de rester prudents.
Grâce à ta petite fille aux pendants d'oreilles, j'ai inauguré la pose directe de l'image sans passer par logiciel et fichiers comme je suis obligée de le faire pour mes propres photos.
Bonne fin de semaine chère Tilia.
Je t'embrasse.
Attention Fifi, publier directement sur nos blogs une image à partir d'une adresse internet (comme tu viens de l'expérimenter avec la gamine aux cerises) est effectivement une manière de faire plus simple et plus rapide. Néanmoins ce procédé a un inconvénient non négligeable : si le site d'origine de cette image vient à disparaître (ou si pour une raison quelconque (modification de page, par exemple) l'adresse de l'image en question vient à être modifier sur le site d'origine, l'image ainsi copiée sera supprimée du blog sur lequel elle a été publiée...
SupprimerEn ce qui concerne les images des sites de musées, ou celles de Wikipédia, le risque est minime.
Mais je préfère tout de même enregistrer mes images dans mon ordinateur avant de les publier sur mon blog.
Conseil d'amie ;-)
Merci Tilia. On ne pense pas aux inconvénients et je suis flemmarde de nature. Mais c'est la première fois que je prends plaisir à compléter par ce joli tableau. Il m'est arrivé de me faire "sucrer" des vidéos, ce qui est effectivement très désagréable parce qu'il reste "un trou" qu'il faut réparer...
SupprimerSchmoutz pour une bonne après-midi.
Encore une fois un délice de regarder et de lire. Beaucoup de cerisiers ici sont attaqués par des vers chinois viens-je d'apprendre pas plus tard qu'avant-hier au cours d'aquarelle. Nous profitons de celles de Biocoop à défaut de les cueillir ce qui ajouterait un petit plus non négligeable.
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